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Les Chants
11 juillet 2007

Chant second.

-Ophéliscopie-

Daphnis, jeune prince aux favoris blonds, aux traits réguliers, et à la tenue d'Empereur, chevauchait sublimement son cheval d'un bleu divin; Alpha, qui foudroyait les landes à la vitesse de l'éclair, ne souffrant aucun obstacles, gravissant, sans peine, montagnes et monts. Daphnis allait hebdomadairement voir sa belle, Ophélia, qui, en haut de sa tour d'Ivoire, guettait sa moitié avec une infinie mélancolie.
Nul escalier ne pouvait permettre à Daphnis de rejoindre son amour, en haut de la tour. Il devait, pour se faire, mettre le genou à terre, en dessous de la fenêtre, et crier, d'une voix saturée d'amour, le nom de son coeur.
Ophélia, qui, en haut de sa tour, laissait pousser ses longs et beaux cheveux de reine déchue, mais d'amante céleste, accourait alors à la fenêtre, et versait des larmes que Daphnis sentais couler sur son visage.

Ce jour-là, le jeune prince alla voir sa belle afin de l'emmener, loin. Le soleil se couchait avec lenteur, éclairant de mille et un reflets rouges la terre sacrée d'un amour passionnel, donnant à la tour d'Ivoire des airs de tragedies sanglantes.
Daphnis s'agenouilla, et, après avoir crié le nom de son coeur, vint le dialogue qu'un aveugle épargné par un semi-dieu, nota sur son calepin de poète, mais n'eut pas le courage de mettre en vers:

"Ophélia! Ophélia! Mon iris brûle de votre beauté cinglante. Si vos cheveux blancs et vos lèvres vermeilles valent plus que ma propre vie, daignez-vous accepter l'amour que je vous voue? Ni votre âge, ni les tranchées que le temps a creusées sur votre visage candide, ni la poussière de craie que les saisons ont déposée sur votre corps n'altéreront ce sentiment. Je vous en conjure Ophélia, descendez vers moi. Fermez les yeux, et contemplez moi.
- Vous savez, vous. Vous saviez que cette chose, que ce mal, que cette fatalité me rongeait, hein? Je sens chaque jour se renforcer la douleur, acceptez-vous? A chaque levé, chaque levé, posant le pied par terre, à plat, je m'étonne d'avoir passé la nuit. C'est à retardement là-dedans, je vis à crédit, à rebours. C'est drôle hein? Je m'esclaffe, je pouffe; regardez ma glotte. Alors remballe ton attirail de verbes sublimes, ta diction inhumaine et ta pureté indécente. Tu parles de vie; je te parle de fin. Offre moi, offre moi ce que je désire.
- Tout ma Belle, faudrait-il que je renonce à la joie de vous voir, à la joie d'avoir des yeux, et dûssé-je les crever comme des yeux au plat, les laissant couler le long de...
- Cessez! Merci. Je veux une dernière provocation, une sublime défiance, un ultime crachat sur l'Inexorable. Laisse-moi, fuis, va-t-en, file. Laisse moi renoncer à l'amour de t'aime. Laisse moi renoncer à ma dernière volonté en y succombant. Laisse moi m'endormir la face corrigée par un rictus et ne jamais plus me réveiller, et ne jamais plus devoir ôter c'la de mon visage, et ne jamais plus connaître que le chatouillement des asticots sous ma peau.
- Aimée, soit. Mourrons ensemble. Vivre sans toi, c'est partir un peu, et moi, je ne fais jamais dans la demi-mesure.
- Laisse-moi, mes nausées reviennent et ma dysanthrie est d'actualité. Fuis, offre-moi ce dernier malheurs en hommage à tout le bonheur que nous aurions pu vivre. Va-t-en, et ne te retourne pas; ne prononce mon nom ni ne pense à moi; jamais. File, et que l'indifférence te gagne.
- Permettez-moi d'embrasser les sillons de vos années, gravés à jamais sur votre chair!
- Exclusif. C'est réservé aux asticots, ces sillons, cette chair; déguerpis et va avec l'illusion d'avoir sacrifié ta vie. Va au bordel et aies mauvaise conscience. Ronge-toi, mine-toi de remords à cause de ton indifférence souhaitée, et file.
- Honneur aux vers! J'irai, à Dieu."

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Il regardait la mer, apeuré et esseulé. Ses reflets, sa houle, sa rumeur grondante provoquaient chez lui une sourde angoisse qui dissipait quelques instants sa peur de la minute suivante.
Jamais il ne reverrait Ophélia, jamais il ne pourrait retoucher sa soie de peau ni ses eaux de cheveux. Daphnis descendit alors mélancoliquement d'Alpha, qui de ses yeux humides dardait on-ne-sait-quelle plate pensée. Il dégagea son sceptre du fardeau de l'animal, s'y appuya et marcha; s'il ne pouvait avoir Ophélia, il n'aurrait rien. La terre craquelée supportait tant bien que mal la lourdeur et la monotonie de ses pas.
Les pauvres paysans meurtris d'une vie infâme, n'attendaient qu'une mort où ils pourraient céder leur condition pourrie de dettes à leurs enfants; enfants malformés, rendus débiles et invalides par un travail trop précoce. Beaucoup de borgnes, rien que des borgnes; ils avaient tous perdu leur oeil droit, et, derrière les barricades cloutées, devant ces familles sacrifiées, devant ces martyrs inconnus, devant ces bubles assechées par l'argent qu'ils n'avaient pas, notre beau prince passait.
Les regards, le regard mono-occulaire de chacun de ces esclaves bafoués, de ces esclaves qui recevaient la vie comme un prêt, ces esclaves maudits par une existence désastreuse qu'aucun intempérie, hormis la routine meutrière, ne venait frapper; oui, le regard de ceux-là même se posait sur le sceptre d'or du Prince, et sur son long manteau d'hermine. Aucun d'eux ne connaissaient ces matières; ils eurent tout d'abord peur de lui.
Quel pathétique spectacle que de voir ces Hommes, bravant la famine, la mort, le choléra, la peste, la vérole, tout à coup craindre un étranger chétif à la paleur morbide; ils allaient tous, à reculon, vers leurs fermes, n'osant tourner le dos à l'étranger.
Mais un intrépide garçon, âgé de quelques années en trop, qui jouait avec sa rotule cassée, daigna s'approcher de l'inconnu.
Qu'importe ce que dit Daphnis, qu'importe ce qu'il fît; bientôt élu par le peuple il fut choyé; constamment nourri, logé. Constamment protégé. Le village, la ville, tout l'Empire était en émoi devant lui, et en extase devant cette rumeur dont on parlait de plus en plus fort, aux coins des ruelles mal pavées de souvenirs, de renverser le beau Prince inconnu, au loin, qui affaimait le globe et qui ne songeait qu'à sa Reine, fermentant elle-même en haut de sa tour pachidermique.
L'on raconte aussi que l'on avait retrouvé Alpha, près de Bêta, au bout d'une corde en sucre Candy.
Daphnis fut le chef de cette révolution qui se passa, comme toutes les révolutions, dans la naphtaline et au fil de fer. Porté par le peuple du Globe il détronna ainsi son homonyme, que personne n'avait jamais vu; Daphnis.
Bien plus tard, quelques centaines d'années plus tard, disons, la supercherie fut démasquée, et l'on déterra alors la dépouille royale afin de lui trancher la tête sur la place de la Trinité. L'on monta la veuve en carton et l'on coupa la tête squelette. Suivant ce que dit la maxime: "Guillotine en carton, mort en sucre", il donc est aisé de conclure que la post-mortem du Prince fut édulcoré à outrance.

- Daphnis -

Daphnis, en l'an 10 de grâce, n'était rien. Rien; il vidait des chopes de bières les unes après les autres. Les cernes creusées et teintées par la fatigue, son oeil hagard se promenant sur la pièce sans en détacher réellement les composants. Son teint était blafard, et sa peau moite.
Néanmoins une flamme d'étain en fusion pétrissait son ambition.
Daphnis n'était qu'un enfant ivrogne qui vendait ses habits et son corps pour se remplir l'estomac et les veines. Il n'était pas prince de sang. Ce n'est pas la divinité qui tient et qui étouffe chaque roi l'un après l'autre qui déposa la Couronne sur sa tête; se fut son encéphale qui le fît.
Il voyait chaque jour de preux chevaliers sauver d'un péril mortel leurs tendres et belles. Et eux ne recevaient qu'une gratitude temporaire, les lèvres de l'aimée, et rien d'autre. Ce courage que l'on imputait aux chevalier annihilait les preuves mêmes de leur courage. C'est alors que Daphnis eut un aphorisme pestaculaire, né d'un éclair grâce à ses veines; "Il n'y a rien de chevaleresque dans le fait d'être chevalier". La Gloire vint d'elle-même grâce à lui. Il sauvait la veuve, l'orphelin, et la putain tout en étant lui même affublé de loques terreuses. Son mérite était inimaginable, sa récompense fut à la hauteur.
Il construisit lui-même la tour d'Ivoire à partir de papier-verre et de craie, il détruisit lui-même les escaliers, emprisonnant ainsi Ophélia.
   Il décréta lui-même qu'il était prince et le fut.
   Il apprit lui-même le Grec et rencontra alors Bêta.
   Il fît raser des régions entières, rayer des populations et imputa un continent au globe.
   Il redécouvrit quinze fois les amériques et inventa une vingtaine de fois la bombe à neutrons.

Il lance des éclairs, se noit dans des mers de vins que des séraphins produisent en écrasant le raison de leurs pieds crottés. Puis il créa le contexte, puis il façonna sa vie, sa romance avec Ophélia, il travailla jour et nuit son discours, il chanta des jours et des nuits entières son amour à l'encre vide.
Il dessinait et caricaturait Dieu qui le punissait en le couvrant de foudre. Mais Daphnis, ému par les efforts de vengeance de son frère lui baisait uniquement le crâne, en signe de bonté.
Ophélia, elle, n'est que l'amour de Daphnis, enchanteresse et immaculé de tendresse. Elle compte les étoiles et les lunes, en haut de sa tour qui ne supporte pas la pluie.

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